MA RUE EN 1960
À l’entrée elle est bordée de deux grands murs de pierre qui ceinturent des jardins, puis elle s’enfile entre deux rangées de petites maisons de granit. Le calme règne, les coups de battoirs de Julie sur sa planche à laver, rythment le lointain caquètement d’une poule qui pond, un vieux chien allongé sur le bord de la route sommeille, la fumée des poêles à charbon s’échappe en panache des cheminées et l’odeur de la soupe aux légumes embaume le quartier.
Mais aussitôt la sortie de l’école,
Telle une nuée de moineaux
Qui aurait pris son envol,
Par dizaine les marmots,
S’égaillent dans la rue.
Lestement les filles
Sur la marelle tracée au charbon,
A cloche pied sautillent
Sur les graviers du goudron.
Le petit vélo bleu de Charlie
Passe de main en main.
La vielle roue sans pneu
Poussée avec le bâton
Traverse effrontément la partie de billes.
Julie manifeste sa lassitude,
Elle lève les bras au ciel
En brandissant son battoir,
Et le chien fatigué lui aussi
Par des aboiements dérisoires
Essaye de couvrir nos cris
La rue est notre royaume
Nous en avons pris possession
En écorchant nos paumes
Ou râpant nos genoux sur les traîtres gravillons.
Dans ma rue notre esprit se vide des moments amers
Et s’emplit pour un temps des joies de l’enfance,
Et alors l’insouciance
Fait place à la misère.
Tout se déboîte, tout se déhanche,
Dans ma rue,
C’est une vraie cour des miracles
L’amant rend visite à son aimante
Le cul de jatte quémande quelques piécettes
L’horloge là-haut ne tourne pas rond
Les cloches se mettent à sonner à toute volée
Un grain de sable s’est immiscé dans les cerveaux
La tour du beffroi se met à pencher sérieusement
Le clochard ne retrouve plus sa monnaie
Mon pied glisse sur le pavé trempé
Dans le bruissement de la cohue ordinaire
Une gueule d’ange tout à trac flambe dans mes prunelles
Un petit minois dont on ne se remet pas
Je presse le pas, je plisse les yeux
Qu’ai-je donc fait au bon Dieu
Pour mériter si sublime apparition ?
Transpercé par l’illumination,
Je sens mon pouls s’accélérer
Battre au bourdon de mon cœur
Le sol s’efface sous mes pieds
Que se passe-t-il ? Je me sens saisi,
Je me sens voler. Je m’affaisse
Soudain sur le passage clouté.
Monsieur, réveillez-vous, on va fermer !
Mince, j’ai encore abusé de l’absinthe,
Pour oublier, s’il se peut, mon absente.
Je retourne à la rue, en quête d’un autre rade
Qui me rendra mon élue,
Sitôt vue, sitôt disparue.
Le soleil est si bas en ce frileux hiver
Que chaque ombre s’allonge sur les maisons jaguines
Et les feuilles tombant d’une maigre glycine
Décorent d’éclats pâles les branches de buis vert.
Sous le ciel de janvier, toute la rue frissonne
Le village est désert, plusieurs volets sont clos,
Les enfants à l’école restent sous le préau,
Et les jeux de pétanque n’ont attiré personne.
La Maison de la Presse n’ouvrira qu’à trois heures,
L’épicerie du centre est fermée pour travaux,
Le bazar de la place a baissé ses rideaux,
Et seul, un vieillard lent promène son Yorkshire.
Au café Le Bretagne, la vitrine rappelle
Qu’on y vend du tabac, des boissons et des jeux ;
J’entre et me fais servir un grand café crémeux
En espérant glaner au bar quelque nouvelle.
Mais en ce jour glacé, pas de clients bavards…
Je me résigne alors à marcher vers la mer
Où les bernaches grises cacardent des histoires
Rapportées du Grand Nord dont elles ont fui l’hiver.
Yvonne Le Meur-Rollet
Ils se sont promenés
Comme le premier soir
Dans la rue mal pavée
Mais n’ont pas retrouvé
Le porche lisse et noir
De leurs baisers mouillés
Dans la Rue des Drapiers.
Elle a voulu quand même
S’accrocher à son bras
Elle a vu dans ses yeux
Monter une étincelle
Elle a cru que pour elle
Se ranimait le feu
Dans la Rue des Drapiers.
Mais près de la margelle
En haut de l’escalier
S’avançait une fille
Aux cheveux caramel
Anneau d’or au nombril
Fin tricot de dentelle
Dans la Rue des Drapiers.
Tous deux ont aperçu
Leur reflet dans la glace
Et ils ont entrevu
Le poids du temps qui passe
Qui essouffle les cœurs
Et fait traîner les pieds
Dans la Rue des Drapiers.
Ils se sont promenés
Comme le premier soir
Dans la rue mal pavée
Mais n’ont pas retrouvé
Le porche lisse et noir
De leurs baisers mouillés
Dans la Rue des Drapiers.
( Ce texte de chanson a été mis en musique et interprété par Jean Deschamps.)
Dans la ville sans vie
Désertée par les chiens
Et par les goélands
Le sable noie les rues.
Une boule d’oyats
Arrachés à la dune
Traverse l’avenue
Qui n’est plus qu’un désert.
Les murs gris se lamentent
Comme un harmonica
Lancinant et troublant
Sous le vent de l’hiver.
Au clocher le bourdon
Sensible à la bourrasque
Tinte timidement
Tel un glas mexicain.
Un volet claque aux pierres
Rebondit au taquet
Et se retourne encore
Dans un bruit de fusil.
La cité dépourvue
Des colons de l’été
S’abandonne aux torpeurs
Venues de l’océan.
MA RUE EN 1960
À l’entrée elle est bordée de deux grands murs de pierre qui ceinturent des jardins, puis elle s’enfile entre deux rangées de petites maisons de granit. Le calme règne, les coups de battoirs de Julie sur sa planche à laver, rythment le lointain caquètement d’une poule qui pond, un vieux chien allongé sur le bord de la route sommeille, la fumée des poêles à charbon s’échappe en panache des cheminées et l’odeur de la soupe aux légumes embaume le quartier.
Mais aussitôt la sortie de l’école,
Telle une nuée de moineaux
Qui aurait pris son envol,
Par dizaine les marmots,
S’égaillent dans la rue.
Lestement les filles
Sur la marelle tracée au charbon,
A cloche pied sautillent
Sur les graviers du goudron.
Le petit vélo bleu de Charlie
Passe de main en main.
La vielle roue sans pneu
Poussée avec le bâton
Traverse effrontément la partie de billes.
Julie manifeste sa lassitude,
Elle lève les bras au ciel
En brandissant son battoir,
Et le chien fatigué lui aussi
Par des aboiements dérisoires
Essaye de couvrir nos cris
La rue est notre royaume
Nous en avons pris possession
En écorchant nos paumes
Ou râpant nos genoux sur les traîtres gravillons.
Dans ma rue notre esprit se vide des moments amers
Et s’emplit pour un temps des joies de l’enfance,
Et alors l’insouciance
Fait place à la misère.
Louise Montagne – janvier 2023-
APPARITION
Tout se déboîte, tout se déhanche,
Dans ma rue,
C’est une vraie cour des miracles
L’amant rend visite à son aimante
Le cul de jatte quémande quelques piécettes
L’horloge là-haut ne tourne pas rond
Les cloches se mettent à sonner à toute volée
Un grain de sable s’est immiscé dans les cerveaux
La tour du beffroi se met à pencher sérieusement
Le clochard ne retrouve plus sa monnaie
Mon pied glisse sur le pavé trempé
Dans le bruissement de la cohue ordinaire
Une gueule d’ange tout à trac flambe dans mes prunelles
Un petit minois dont on ne se remet pas
Je presse le pas, je plisse les yeux
Qu’ai-je donc fait au bon Dieu
Pour mériter si sublime apparition ?
Transpercé par l’illumination,
Je sens mon pouls s’accélérer
Battre au bourdon de mon cœur
Le sol s’efface sous mes pieds
Que se passe-t-il ? Je me sens saisi,
Je me sens voler. Je m’affaisse
Soudain sur le passage clouté.
Monsieur, réveillez-vous, on va fermer !
Mince, j’ai encore abusé de l’absinthe,
Pour oublier, s’il se peut, mon absente.
Je retourne à la rue, en quête d’un autre rade
Qui me rendra mon élue,
Sitôt vue, sitôt disparue.
Jean Bernard Vivet Saint-Suliac, 16 janvier 2023
La Grande Rue en hiver
Le soleil est si bas en ce frileux hiver
Que chaque ombre s’allonge sur les maisons jaguines
Et les feuilles tombant d’une maigre glycine
Décorent d’éclats pâles les branches de buis vert.
Sous le ciel de janvier, toute la rue frissonne
Le village est désert, plusieurs volets sont clos,
Les enfants à l’école restent sous le préau,
Et les jeux de pétanque n’ont attiré personne.
La Maison de la Presse n’ouvrira qu’à trois heures,
L’épicerie du centre est fermée pour travaux,
Le bazar de la place a baissé ses rideaux,
Et seul, un vieillard lent promène son Yorkshire.
Au café Le Bretagne, la vitrine rappelle
Qu’on y vend du tabac, des boissons et des jeux ;
J’entre et me fais servir un grand café crémeux
En espérant glaner au bar quelque nouvelle.
Mais en ce jour glacé, pas de clients bavards…
Je me résigne alors à marcher vers la mer
Où les bernaches grises cacardent des histoires
Rapportées du Grand Nord dont elles ont fui l’hiver.
Yvonne Le Meur-Rollet
Les Allées des Poètes
Allée Charles Baudelaire
une atmosphère délétère
nimbe les corolles d’azur
Doux veloutés de luxure.
Allée Arthur Rimbaud
les voyelles de l’écriteau
taguées aux couleurs nouvelles
bavent, ivres et rebelles.
Allée André Chénier
un panneau décapité
gît au tréfonds du fossé
Le destin est sans pitié.
Allée Gérard de Nerval
un désespoir automnal
suspendu au lampadaire
sonne les heures, pendulaire.
Allée Alfred de Musset
nez collé à la verrière
j’ai vu passer l’étranger
Il lui ressemblait en frère.
Allée Paul Verlaine
les Poètes vont et viennent
comme des rêves familiers
sur les pensées des Allées.
Dans la rue des Drapiers
’Yvonne Le Meur-Rollet
Ils se sont promenés
Comme le premier soir
Dans la rue mal pavée
Mais n’ont pas retrouvé
Le porche lisse et noir
De leurs baisers mouillés
Dans la Rue des Drapiers.
Elle a voulu quand même
S’accrocher à son bras
Elle a vu dans ses yeux
Monter une étincelle
Elle a cru que pour elle
Se ranimait le feu
Dans la Rue des Drapiers.
Mais près de la margelle
En haut de l’escalier
S’avançait une fille
Aux cheveux caramel
Anneau d’or au nombril
Fin tricot de dentelle
Dans la Rue des Drapiers.
Tous deux ont aperçu
Leur reflet dans la glace
Et ils ont entrevu
Le poids du temps qui passe
Qui essouffle les cœurs
Et fait traîner les pieds
Dans la Rue des Drapiers.
Ils se sont promenés
Comme le premier soir
Dans la rue mal pavée
Mais n’ont pas retrouvé
Le porche lisse et noir
De leurs baisers mouillés
Dans la Rue des Drapiers.
( Ce texte de chanson a été mis en musique et interprété par Jean Deschamps.)
UN JOUR
Ce jour aurait pu être
Un jour comme les autres,
Un jour avec métro
Puis boulot et dodo.
Bien étranges combats,
Insolites soldats
Venus de tous les âges.
Sous les pavés, la plage.
Le rouge était levé
Pour une évolution,
Couleur de liberté
Et d’émancipation.
Des hommes gros et gourds
Allaient à leur poursuite.
C’était l’aube d’un jour
Début Mai soixante-huit.
Bruits de bottes, Opus IV :
Féminins
Repliée au bord du banc public
Elle glisse sa paire de bas
De soie filés dans son cabas
Maudit le froid qui la pique
Caresse cuisses et chevilles
Remet ses bottines d’argent
Et ne laisse en repartant
Qu’un bruit de talons aiguilles.
Saint-Lunaire en hiver
Dans la ville sans vie
Désertée par les chiens
Et par les goélands
Le sable noie les rues.
Une boule d’oyats
Arrachés à la dune
Traverse l’avenue
Qui n’est plus qu’un désert.
Les murs gris se lamentent
Comme un harmonica
Lancinant et troublant
Sous le vent de l’hiver.
Au clocher le bourdon
Sensible à la bourrasque
Tinte timidement
Tel un glas mexicain.
Un volet claque aux pierres
Rebondit au taquet
Et se retourne encore
Dans un bruit de fusil.
La cité dépourvue
Des colons de l’été
S’abandonne aux torpeurs
Venues de l’océan.
Novembre 2022