Ta lente adolescence,
Violente et secrète
Sous son armure étroite,
Enfermait tes désirs.
Le heaume de la lune
Ébréchait les nuages
Prisonniers de l’étang.
Par ces soirs très lointains
Pétrifiés dans l’attente,
Tu espérais entendre
Venir le souffle rauque
D’un faune dans les joncs,
Et tu sentais glisser
Le clapot d’une main
Sur l’onde de ta hanche.
Tes paupières battantes,
Impatientes fougères,
Guettaient tous les charrois
D’étoiles basculant
Dans l’éboulis des schistes.
Tu rêvais de connaître
Le silex du péché
Au goût de ronce tendre.
Mais ton corps inutile
Restait, timide offrande,
Étendu sous le vide
Et l’ennui de l’été.
Yvonne Le Meur-Rollet
( dans le recueil »Au creux de ton sourire »
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869
Assise au bord de l’eau,
Le sable mouillé collant sur ses mollets,
Dans son maillot de bain,trop grand
Trop lourd, déforme d’être trempé,
La fillette immobile regarde au loin.
Ses yeux sont rivés sur le filet indigo,
Qui surligne le bord de la mer.
Les questions affluent dans sa petite tête
Qu’y a t’il au bout,loin là bàs?
Est ce que la terre s’arrête?
Où vont ils tous ces bateaux?
Qu’elle ne distingue presque plus.
Au bout,vont’ils chuter,vont ils couler?
Voler comme le Vaisseau Fantôme?…
Elle imagine des pirates
Naviguant sur ces eaux sans fond,
De féroces flibustiers
Au profil effrayant,borgnes et balafrés,
Revenants impitoyables
Condamnés à l’errance éternelle…
Soudain dans un frisson saisissant
Elle arrête ses élucubrations
Et reprend ses esprits…
Les images lointaines,
Les vaines réponses,
Peinent à sortir de sa tête…
Poussant un gros soupir
Elle se relève enfin,
Puis s’en retourne dubitative.
Prose du Trananssibérien
Blaise CENDRARSs
Un extrait de ce texte a été lu par Anne BIHOREAU
En ce temps-là, j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d’Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l’or mielleux des cloches…
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J’avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place
Et mes mains s’envolaient aussi avec des bruissements d’albatros
Et ceci, c’était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.
Blaise Cendrars
Voici un texte proposé par Yvonne Le Meur-Rollet,
que je n’ai pas lu, faute d’avoir été plus concis précédemment.
Des lointains
Des lointains, des si lointains j’accours, ami, vers toi, le plus cher. Mes pas ont dépecé l’horrible espace entre nous.
De longtemps nos pensers n’habitaient plus le même instant du monde : les voici à nouveau sous les mêmes influx, pénétrés des mêmes rayons.
Tu ne réponds pas. Tu observes. Qu’ai-je déjà commis d’inopportun ? Sommes-nous bien réunis : est-ce bien toi, le plus cher ?
Nos yeux se sont manqués. Nos gestes n’ont plus de symétrie. Nous nous épions à la dérobée comme des inconnus ou des chiens qui vont mordre.
Quelque chose nous sépare. Notre vieille amitié se tient entre nous comme un mort étranglé par nous. Nous la portons d’un commun fardeau, lourde et froide.*
Ha ! Hardiment retuons-la ! Et pour les heures naissantes, prudemment composons une vivace et nouvelle amitié.
Le voulez-vous, Ô mon nouvel ami, frère de mon âme future ?
Victor SÉGALIN (1878-1919)
Extrait du recueil »Stèles (face au Nord) »
Texte non lu, faute de temps
Le Voyage. Charles Baudelaire
À Maxime Du Camp
EXTRAIT
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !
/…/
Le goût lointain du péché
(Texte lu par ALINE)
Ta lente adolescence,
Violente et secrète
Sous son armure étroite,
Enfermait tes désirs.
Le heaume de la lune
Ébréchait les nuages
Prisonniers de l’étang.
Par ces soirs très lointains
Pétrifiés dans l’attente,
Tu espérais entendre
Venir le souffle rauque
D’un faune dans les joncs,
Et tu sentais glisser
Le clapot d’une main
Sur l’onde de ta hanche.
Tes paupières battantes,
Impatientes fougères,
Guettaient tous les charrois
D’étoiles basculant
Dans l’éboulis des schistes.
Tu rêvais de connaître
Le silex du péché
Au goût de ronce tendre.
Mais ton corps inutile
Restait, timide offrande,
Étendu sous le vide
Et l’ennui de l’été.
Yvonne Le Meur-Rollet
( dans le recueil »Au creux de ton sourire »
Poème non lu faute de temps
L’Etranger
Charles Baudelaire
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869
LOINTAINS SOUVENIRS SUR L’HORIZON LOINTAIN
Assise au bord de l’eau,
Le sable mouillé collant sur ses mollets,
Dans son maillot de bain,trop grand
Trop lourd, déforme d’être trempé,
La fillette immobile regarde au loin.
Ses yeux sont rivés sur le filet indigo,
Qui surligne le bord de la mer.
Les questions affluent dans sa petite tête
Qu’y a t’il au bout,loin là bàs?
Est ce que la terre s’arrête?
Où vont ils tous ces bateaux?
Qu’elle ne distingue presque plus.
Au bout,vont’ils chuter,vont ils couler?
Voler comme le Vaisseau Fantôme?…
Elle imagine des pirates
Naviguant sur ces eaux sans fond,
De féroces flibustiers
Au profil effrayant,borgnes et balafrés,
Revenants impitoyables
Condamnés à l’errance éternelle…
Soudain dans un frisson saisissant
Elle arrête ses élucubrations
Et reprend ses esprits…
Les images lointaines,
Les vaines réponses,
Peinent à sortir de sa tête…
Poussant un gros soupir
Elle se relève enfin,
Puis s’en retourne dubitative.
Louise Montagne -octobre 2025-
Prose du Trananssibérien
Blaise CENDRARSs
Un extrait de ce texte a été lu par Anne BIHOREAU
En ce temps-là, j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d’Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l’or mielleux des cloches…
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J’avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place
Et mes mains s’envolaient aussi avec des bruissements d’albatros
Et ceci, c’était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.
Blaise Cendrars
Voici un texte proposé par Yvonne Le Meur-Rollet,
que je n’ai pas lu, faute d’avoir été plus concis précédemment.
Des lointains
Des lointains, des si lointains j’accours, ami, vers toi, le plus cher. Mes pas ont dépecé l’horrible espace entre nous.
De longtemps nos pensers n’habitaient plus le même instant du monde : les voici à nouveau sous les mêmes influx, pénétrés des mêmes rayons.
Tu ne réponds pas. Tu observes. Qu’ai-je déjà commis d’inopportun ? Sommes-nous bien réunis : est-ce bien toi, le plus cher ?
Nos yeux se sont manqués. Nos gestes n’ont plus de symétrie. Nous nous épions à la dérobée comme des inconnus ou des chiens qui vont mordre.
Quelque chose nous sépare. Notre vieille amitié se tient entre nous comme un mort étranglé par nous. Nous la portons d’un commun fardeau, lourde et froide.*
Ha ! Hardiment retuons-la ! Et pour les heures naissantes, prudemment composons une vivace et nouvelle amitié.
Le voulez-vous, Ô mon nouvel ami, frère de mon âme future ?
Victor SÉGALIN (1878-1919)
Extrait du recueil »Stèles (face au Nord) »
Texte non lu, faute de temps
Le Voyage. Charles Baudelaire
À Maxime Du Camp
EXTRAIT
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !
/…/
Ce texte parle de la poésie. Pas seulement celle que j’essaie d’écrire,
mais aussi celle que je lis, que j’écoute et qui m’apprend.
Ivresse des profondeurs
Je me sens funambule
Au dessus des grandes vallées nues de la mort.
Il suffirait parfois d’un peu de vent plus fort
Afin que je bascule.
Mais agile, je suis,
Depuis aussi longtemps que le vide m’invite.
Je gère mon effort pour n’aller pas trop vite
Je soigne mes appuis.
Quelques fois je chancelle
Quand je me fais tenter par le gouffre en dessous.
Tremblant de haut en bas, suant de tout mon soûl
Je me sens haridelle.
Puis je reprends le fil
Fragile et dangereux où je tiens l’équilibre.
J’avance sur le trait qui m’offre d’être libre.
La corde est mon exil !
D’autres jours dans mes bras
Que j’étends comme fait un oiseau de ses ailes
Je sens le poids des peurs, attirantes, cruelles
Me happer contrebas.
Alors je me redresse
Pour découvrir au loin la ligne d’horizon
Sur laquelle je saute et vais califourchon
Ressentir son ivresse.