La lame s’est enfoncée
Le corps de la femme a chuté
L’enfant a glissé de ses bras dans la tache rouge
L’homme a fui
« tu rentreras au Maroc dans un cercueil »
Il a tenu sa promesse de mort
pas sa promesse d’une vie meilleure
Des changements avaient éveillé sa méfiance
Voile épisodique, crayon bleu soulignant le noir de ses yeux
Comment osait-elle s’exposer ainsi ?
Idée obsessionnelle d’un autre homme
Doutes sur la paternité de leur fils
Lassée de leurs disputes, de ses menaces,
elle l’a quitté pour se réfugier dans un foyer
Protéger sa fille et son fils
Divorcer pour les élever en liberté
Elle travaillait, apprenait le français
Je l’ai connue jeune et pleine de vie
une longue natte noire et des yeux de jais
vive et pétulante
Elle se savait en danger
Elle avait peur, tout le temps peur
Aux Assises, il a défendu son acte mortifère
Ses propos traduits résonnaient dans la salle d’audience
« Exil ne signifie pas changement ni renoncement
Monsieur Le Président
La France c’était pour le travail et l’argent
Nous on sera jamais français »
Il était soulagé d’avoir agi
Il semblait indifférent à son jugement
Encore jeune, il avait une vie devant lui
C’était bien mieux l’année dernière:
on avait pu, au mois de juin, ouvrir le nouveau parasol,
manger le soir dans le jardin et voir voleter des lucioles.
Mes parents montaient se coucher, avec des rires dans les yeux …
Maman trouvait que Mademoiselle Claire
m’avait fait très bien travailler avant mon entrée en sixième,
alors, pour la remercier,
elle avait voulu l’inviter à ma communion solennelle.
C’était bien mieux l’année dernière :
J’avais appris à pagayer avec papa sur la rivière,
il m’avait montré où pêcher les truites vives à la cuillère.
et nous faisions des ricochets, en choisissant de belles pierres…
C’était bien mieux l’année dernière :
maman chantait dans la cuisine en étalant la nappe bleue,
papa l’appelait « Ma chérie » et me disait « Tu viens, fiston?»
avant de m’ouvrir sa portière pour décharger les commissions.
/…/
Tout était mieux l’année dernière,
juste avant que papa nous quitte
pour vivre avec Mademoiselle Claire…
Yvonne Le Meur-Rollet
Ça y est, je l’ai choppé !
On m’avait prévenu :
‘’Il faut tout éviter,
Les proches, les inconnus !’’
Mais après dix-huit mois
D’abstinence sociale,
J’ai fauté malgré moi :
Je suis allé au bal.
Et j’ai mal à la tête
Puisque j’ai de la fièvre.
L’éveil de nuit m’inquiète
De douleur à la plèvre.
Je ne peux me lever
Terrassé de fatigue.
Je ne peux rien manger,
Pas même une figue.
Alors la peur me prend.
On m’avait prévenu
‘’Reste toujours distant’’.
J’ai joué, j’ai perdu !
J’ai violé les barrières
Des gestes interdits.
J’ai cru qu’après hier
Tout nous était permis.
Mais la longévité
De cette épidémie
M’a trompé. J’ai tenté
De revoir ma fratrie.
La porte de ma chambre,
Fermée dès hier soir,
S’ouvre sur un rai ambre
Et me redonne espoir.
Un proche qui s’approche
Me calme et prend ma main,
Alors que je m’accroche
Pour retarder la fin.
Je sais qu’il a compris
Où je me précipite.
Il me rassure et dit :
‘’T’as pris une sacrée cuite !’’
Je suis un bourgeon transpercé.
La branche qui m’a enfanté
par une tige sans ressort,
me relie encor à son corps,
laissant les pattes de la bête
me piétiner et me soumettre .
Si je murmure ma blessure
à cette branche nourricière
ses feuilles vite elle replie
pour ne pas ouïr le cri discret
de ma plainte et de mon secret.
Elle me préfère muet.
La bête rampe à son festin.
Elle me pique au fond du cœur.
Ma branche sait tout, ne fait rien
pour secouer cette vermine
corrompant mon œil enfantin.
Ma branche a perdu son instinct.
Et pourtant c’est la même sève
coulant dans son être et le mien.
Ma verdeur brûle de douleur.
La bête frôle mon velours
et pique et repique sans faim.
Je me remplis de son venin.
Le bourgeon charnu que j’étais
se rabougrit, change d’aspect.
Je laisse ruisseler mes forces
dans une indifférence atroce.
Bientôt je ne serai plus rien…
La Bête est vivante et revient.
Merci Michèle pour ce texte qui évoque le drame de l’inceste dans la métaphore qui file tout au long du poème: l’arbre, la branche, les bourgeons, les feuilles, la sève, la verdeur…. Le rythme régulier des vers, la richesse des mots choisis pour leur musique et les images qu’ils font naître arrivent à traduire avec pudeur et force la douleur de l’enfant abusé qui dénonce son bourreau sans jamais le nommer.
Merci Yvonne pour tes encouragements. Les violences sexuelles
touchent 2 à 3 enfants par classe, soit une personne sur dix en France. (Chiffres de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, la CIIVISE. )
FEMINICIDE EN EXIL
La lame s’est enfoncée
Le corps de la femme a chuté
L’enfant a glissé de ses bras dans la tache rouge
L’homme a fui
« tu rentreras au Maroc dans un cercueil »
Il a tenu sa promesse de mort
pas sa promesse d’une vie meilleure
Des changements avaient éveillé sa méfiance
Voile épisodique, crayon bleu soulignant le noir de ses yeux
Comment osait-elle s’exposer ainsi ?
Idée obsessionnelle d’un autre homme
Doutes sur la paternité de leur fils
Lassée de leurs disputes, de ses menaces,
elle l’a quitté pour se réfugier dans un foyer
Protéger sa fille et son fils
Divorcer pour les élever en liberté
Elle travaillait, apprenait le français
Je l’ai connue jeune et pleine de vie
une longue natte noire et des yeux de jais
vive et pétulante
Elle se savait en danger
Elle avait peur, tout le temps peur
Aux Assises, il a défendu son acte mortifère
Ses propos traduits résonnaient dans la salle d’audience
« Exil ne signifie pas changement ni renoncement
Monsieur Le Président
La France c’était pour le travail et l’argent
Nous on sera jamais français »
Il était soulagé d’avoir agi
Il semblait indifférent à son jugement
Encore jeune, il avait une vie devant lui
Françoise Sartorio
Décembre 2023
L’année dernière…
(Texte lu par Joëlle Meilleray)
C’était bien mieux l’année dernière:
on avait pu, au mois de juin, ouvrir le nouveau parasol,
manger le soir dans le jardin et voir voleter des lucioles.
Mes parents montaient se coucher, avec des rires dans les yeux …
Maman trouvait que Mademoiselle Claire
m’avait fait très bien travailler avant mon entrée en sixième,
alors, pour la remercier,
elle avait voulu l’inviter à ma communion solennelle.
C’était bien mieux l’année dernière :
J’avais appris à pagayer avec papa sur la rivière,
il m’avait montré où pêcher les truites vives à la cuillère.
et nous faisions des ricochets, en choisissant de belles pierres…
C’était bien mieux l’année dernière :
maman chantait dans la cuisine en étalant la nappe bleue,
papa l’appelait « Ma chérie » et me disait « Tu viens, fiston?»
avant de m’ouvrir sa portière pour décharger les commissions.
/…/
Tout était mieux l’année dernière,
juste avant que papa nous quitte
pour vivre avec Mademoiselle Claire…
Yvonne Le Meur-Rollet
Pied de nez
Ça y est, je l’ai choppé !
On m’avait prévenu :
‘’Il faut tout éviter,
Les proches, les inconnus !’’
Mais après dix-huit mois
D’abstinence sociale,
J’ai fauté malgré moi :
Je suis allé au bal.
Et j’ai mal à la tête
Puisque j’ai de la fièvre.
L’éveil de nuit m’inquiète
De douleur à la plèvre.
Je ne peux me lever
Terrassé de fatigue.
Je ne peux rien manger,
Pas même une figue.
Alors la peur me prend.
On m’avait prévenu
‘’Reste toujours distant’’.
J’ai joué, j’ai perdu !
J’ai violé les barrières
Des gestes interdits.
J’ai cru qu’après hier
Tout nous était permis.
Mais la longévité
De cette épidémie
M’a trompé. J’ai tenté
De revoir ma fratrie.
La porte de ma chambre,
Fermée dès hier soir,
S’ouvre sur un rai ambre
Et me redonne espoir.
Un proche qui s’approche
Me calme et prend ma main,
Alors que je m’accroche
Pour retarder la fin.
Je sais qu’il a compris
Où je me précipite.
Il me rassure et dit :
‘’T’as pris une sacrée cuite !’’
Père absent
Chaque jour
toi, tu te tais
moi , je me tue
à rompre ton indifférence.
Face à tes abus de silence
je meurs
chaque jour
un peu plus.
Toi, tu te tais, moi, je me tue
à espérer une présence,
un signe, une reconnaissance
de toi, légalement connu.
Jour après jour
je scrute, je sonde
avec une belle constance
les aurores de mes nuits déçues.
Toi tu te tais
je m’évertue
à briser un mur d’ignorance
en continu.
Au nom du père
s’il en fut,
au NON de de sa grande distance
au NON de l’absent du début
Au nom si clair de l’évidence
vient s’auréoler
la sentence
de tous mes espoirs déchus
Face à mon père
sans retenue
je suis, je reste
inconnue.
Michèle Pettazzoni
Complainte à la branche
Je suis un bourgeon transpercé.
La branche qui m’a enfanté
par une tige sans ressort,
me relie encor à son corps,
laissant les pattes de la bête
me piétiner et me soumettre .
Si je murmure ma blessure
à cette branche nourricière
ses feuilles vite elle replie
pour ne pas ouïr le cri discret
de ma plainte et de mon secret.
Elle me préfère muet.
La bête rampe à son festin.
Elle me pique au fond du cœur.
Ma branche sait tout, ne fait rien
pour secouer cette vermine
corrompant mon œil enfantin.
Ma branche a perdu son instinct.
Et pourtant c’est la même sève
coulant dans son être et le mien.
Ma verdeur brûle de douleur.
La bête frôle mon velours
et pique et repique sans faim.
Je me remplis de son venin.
Le bourgeon charnu que j’étais
se rabougrit, change d’aspect.
Je laisse ruisseler mes forces
dans une indifférence atroce.
Bientôt je ne serai plus rien…
La Bête est vivante et revient.
Michèle Pettazzoni
Merci Michèle pour ce texte qui évoque le drame de l’inceste dans la métaphore qui file tout au long du poème: l’arbre, la branche, les bourgeons, les feuilles, la sève, la verdeur…. Le rythme régulier des vers, la richesse des mots choisis pour leur musique et les images qu’ils font naître arrivent à traduire avec pudeur et force la douleur de l’enfant abusé qui dénonce son bourreau sans jamais le nommer.
Merci Yvonne pour tes encouragements. Les violences sexuelles
touchent 2 à 3 enfants par classe, soit une personne sur dix en France. (Chiffres de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, la CIIVISE. )