Marianne ma sœur

Marianne, ma sœur
n’as-tu rien vu venir de ta plus haute tour
ni l’aigle qui louvoie ni la peste ni le froid ?
Marianne mon unique
Qui a dessiné ces horribles arcs-en-ciel
autour de tes grands yeux ?
Qui a zébré ta peau
de jaune de bleu d’effroi ?

Marianne, fille d’une république aux abois
tant de rouge a dégouliné
de ta bouche de tes oreilles
mais j’entends ta voix
Marianne, si jeune si volontaire
combien de fois ton corps
s’est plié replié déplié
sous les coups de bottes et de pelles ?

Tu es morte ma résistante
Tu es morte massacrée par des hommes
endoctrinés et cruels
Je m’interroge encore
Je m’interroge sans cesse :
« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »
Est-ce ainsi que des femmes meurent ?
« Je ne suis pas de ceux que l’amour console »

Hommage à la jeune résistante Marianne Cohn
Merci aux poètes Louis Aragon et Rainer Maria Rilke pour l’emprunt de deux vers.

Michèle Pettazzoni

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Mes résistances

J’ai appris le mot résistance,
Un peu avant d’avoir huit ans.
Une armée baîllonnait la France
Et s’imposait en l’occupant.

Nous savions tous que notre père,
Parti très loin de la maison,
N’était pas prisonnier de guerre
Mais se battait sur d’autres fronts.

Quand l’hiver sifflait aux fenêtres,
Nous l’imaginions au maquis,
Soldat bivouaquant sous les hêtres,
Le ventre creux, le corps transi.

Nous rêvions de nuits d’embuscades,
De plans secrets, de vieux fusils,
D’évasions et de cavalcades
Pour échapper à l’ennemi.

Ainsi se passa notre enfance,
Nid de révolte et de passion.
Nous attendions, pleins d’impatience,
Le jour de la Libération.

Mais quand la paix fut retrouvée,
Je fus envoyée en pension
Et, dans les couloirs du lycée,
Je me sentis comme en prison.

On voulut que je sois docile,
Que j’accepte l’autorité ;
Et des règlements imbéciles
Me privèrent de liberté.

On m’apprit à baisser le front
A retenir mes mots sauvages
A dire « merci » et « pardon »,
Comme on l’exigeait à cet âge.

Je tentai de me révolter
Pour échapper au formatage ;
Je dus finalement céder
Et me plier aux bons usages.

Mais aujourd’hui, dès que j’entends
Monter la haine et la violence
Dans des discours intolérants
J’en appelle à la résistance.

Yvonne Le Meur-Rollet

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Espoir

La saison de moisson est enfin arrivée.
Mais les gelées les grêles et les soleils de plomb
Ont dévasté mes champs durant toute l’année,
Plus le moindre sarment pas le moindre bourgeon.

Si mes intenses pleurs n’ont pas pu irriguer
Les sillons de mes sols hérités de parents
Que sont belles pourtant ces lignes étirées
À qui j’ai apporté autant d’amendements.

Les mottes de glaise aussi dures que roche,
Les cultures brûlées à cœur me consternent.
Plus un seul brin d’herbe, pas un soupçon d’ébauche,
Pas une goutte d’eau, plus rien dans les citernes.

Tous mes silos sont vides. J’ai été trop cigale
Aux jours d’abondance. Je croyais que le temps
Se montrerait clément. Il en fut plus fatal.
La disette est là. La pauvreté s’entend.

Même aux chemins creux habitués de richesses
Pas un seul champignon à exhiber ses spores,
Pas une dent de lion, pas une seule vesce.
Tout est triste désert me navre me déplore.

Ma tête me fait mal et mon corps s’exténue.
Mon œil se fatigue mon âme se disperse.
Marchant depuis longtemps sur les glanes aigües
Je n’ai plus la force de reprendre la herse.

Je cherche la pivoine sur mes arpents sacrés
Puis le coquelicot terrassé par la peine.
C’est alors que je vois un ovule de blé.
C’est mon dernier espoir. J’urine sur la graine.

Je viendrai le matin, bien avant la rosée,
Guetter l’apparition de perlées sur les chaumes.
Je sucerai alors la paille desséchée
Pour mettre sur le vit l’eau crachée dans ma paume.

Dominique MONGODIN

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Dernière publication de Jean-Albert Guénégan, un fidèle à notre salon du livre de la « Houle des mots »

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« Résistance », thème de l’apéro-poétique du vendredi 23 février, 18h30 à la Goélette.

Venez découvrir les poèmes et textes partagés lors de cet apéro-poétique

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Le ressac des mots

Au son de la plume qui crisse
Les mots se posent sur le papier
D’ombre et de lumière nimbés
Ils nous racontent la vie d’Ulysse

De Proserpine, Agamemnon, Clytemnestre,
Conjurant leur sort en portant haut leur parole
Ou se bouchant les oreilles pour ne pas entendre
L’appel des sirènes qui affole

Les mots s’agitent, rampent sans bruit sur le support
Blanc,
Et soudain déclament notre histoire
Dans le ciel,
Bleu.
Ce cri d’azur par quatre fois déclamé
Ce cri du cœur qu’aucune camisole ne contient
Embrase l’épaisseur ouatée de l’air et s’envole

Ainsi, les rives du temps intime ne comptent-elles aucune limite
Seul subsiste le trait fulgurant déchirant les nues

On entend la rumeur qui monte, enfle,
L’appel puissant à la justice d’un ‘ j’accuse ’
Le parfum de scandale ahané dans la rue
Par les vendeurs de journaux,
Journaux qui finiront repliés
En cornet pour accueillir le sifflement
Des marrons chauds, tout juste grillés

Mais qu’on y prenne garde, les mots sont des bombes
Qui pulvérisent les terrasses et remplissent les tombes
Gardons-nous de les mépriser, ils reviennent à l’assaut
Ils reviennent en trombe, nous font faire le grand saut

Depuis le cri de notre naissance jusqu’à notre dernier souffle
Tous ne sont pas écrits, perdus dans la mémoire de l’eau.
Mais ils circulent encore dans les méandres du cerveau
Têtus, subtils, crus, déchirants, sagaces
Et du ressac des vagues de mots inconscients
Nous recueillons l’écume silencieuse du dire innocent.

Jean-Bernard Vivet, Saint-Suliac, 19-01/2024

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