Paul VERLAINE
1844 – 1896
(Texte dit lors de la soirée poétique)
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
C’est un soir d’été,
allongée sur mon lit,
la fenêtre ouverte,
je sens les odeurs de la Provence,
j’entends les grillons qui stridulent,
je glisse doucement dans le rêve,
et je songe que je suis un oiseau,
qui traverse les nuages
comme le fait la lumière,
je ressens la chaleur du soleil,
il réchauffe mon cœur,
apaise tous mes tourments.
Je vois la terre d’en haut,
avec ses ombres et ses lueurs,
je rêve d’embrasser tous les peuples,
et que mes baisers soient des miracles de paix.
L’enchantement, doucement, n’emmène vers le sommeil.
Texte évoqué lors de la présentation du thème:
UN SONGE
Le laboureur m’a dit en songe : Fais ton pain,
Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème.
Le tisserand m’a dit : Fais tes habits toi-même.
Et le maçon m’a dit : Prends ta truelle en main.
Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont je traînais partout l’implacable anathème,
Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était réelle :
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés ;
Je connus mon bonheur et qu’au monde où nous sommes
Nul ne se peut vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.
Sully Prudhomme( 1839-1907)
Premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901
Victor HUGO
1802 – 1885
Jeanne songeait ( extraits)
Jeanne est la petite-fille de Victor Hugo
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose;
Je m’approchai : – Dis-moi si tu veux quelque chose,Jeanne ? /…./
Jeanne m’a répondu : -je voudrais voir des bêtes.
Alors je lui montrai dans l’herbe une fourmi.
Vois !
– Mais Jeanne ne fut contente qu’à demi.
– Non, les bêtes, c’est gros, me dit-elle.
/…. /
– Je n’ai pas d’éléphant sous la main, répondis-je.
Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit !
Parle. –
Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt.
– Ça, dit-elle. –
C’était l’heure où le soir commence.
Je vis à l’horizon surgir la lune immense.
Cet autre que je n’ai pas lu, étant contraint de quitter l’apéro avant son terme.
Mon rêve absolu
Une maison paisible loin des bruits parasites
Où chaque jour s’endort le fils de mon fils
Puis quand il se réveille s’en va courir au pré
Pour jouer, cousins, cousines, libres et nus dans l’herbe
Pendant ce temps, je pêche dans l’eau calme du lac
L’esprit toujours secret mais enfin libéré
Je montre aux enfants la lumière du jour
Et les ronds que, dans l’eau, dessinent les poissons
Ils me cueillent quelques fleurs de pissenlit et chantent
Je leur dis de l’histoire et au goûter gourmand
Ma lecture se fait lente au rythme de leurs rêves
Et nous imaginons, ensemble, où elle nous mène
Le frais couvre nos dos, nous rentrons faire le feu
Puis le bain dans l’eau chaude, tirée de l’âtre jaune
Le temps est à la science et à l’ébullition
Puis mes enfants arrivent, les parents des enfants
Se parlent en douceur aux effluves du diner
On a posé les craies au pied du tableau noir
Où sont encor visibles, alphabet, chiffres et cartes
Les assiettes d’absents posées comme tous les soirs
Promettent des histoires qu’ils nous diront bientôt
Dans un discours aussi paisible que nos nuits.
Chez toi la porte reste ouverte
Puisque tu sais attendre
Et que tes mains expertes
Préfèrent donner que prendre.
Chez toi je n’ai pas peur
D’être l’indésirable nain
Puisque je suis au cœur
D’un merveilleux jardin.
Chez toi les arbres sont fleuris
Les branches s’entrelacent
Dans les bouquets d’épis
Et les herbes fugaces.
Chez toi les effluves des fleurs
Caressent mes narines
Et je passe mes mains sur leurs
Tiges sans crainte des épines.
Chez toi j’entends la musique
De ton cœur métronome
Qui joue sa chamade pudique
Son art de vivre, son génome.
Chez toi la chaleur est au centre
De toutes les pièces où tu es
Et quand je pose sur ton ventre
Mes yeux j’arrive à la caresser.
Chez toi tout est calme et serein
L’encens d’Arménie me repose
Et m’emmène encore plus loin
Qu’un voyage en over dose.
Chez toi tout est bon à manger
Alors je me sers goulument
Des mets suaves aux goûts sucrés
Et me ressers et en reprends.
Chez toi les éclats des tissus
Ne cachent pas l’envers du décor
Ils ne voilent que l’aperçu
D’un balcon, un créneau, un trésor.
Chez toi les coussins sont emplis
Du duvet des plumes d’eiders
Et je pose ma tête dans leurs plis
Pour me préserver de l’hiver.
Chez toi je frôle les rideaux
Pour garder sur mes doigts
Le parfum de ta peau
Quand je suis loin de toi.
Chez toi le lit défait est doux
Et je voudrais pour un instant
M’y endormir contre ta joue
À l’abri de ton corps fumant.
Chez toi les matins peut-être s’éternisent
Des vapeurs brûlantes de tisanes, de thé
Des tartines aux confitures exquises,
Des plaisirs innocents et de l’oisiveté.
Chez toi je connais le plaisir
Du simple et de la gaieté
Et je rêve toujours de revenir
Chez toi où je n’ai fait que passer.
Paul VERLAINE
1844 – 1896
(Texte dit lors de la soirée poétique)
Mon rêve familier
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Songe,
C’est un soir d’été,
allongée sur mon lit,
la fenêtre ouverte,
je sens les odeurs de la Provence,
j’entends les grillons qui stridulent,
je glisse doucement dans le rêve,
et je songe que je suis un oiseau,
qui traverse les nuages
comme le fait la lumière,
je ressens la chaleur du soleil,
il réchauffe mon cœur,
apaise tous mes tourments.
Je vois la terre d’en haut,
avec ses ombres et ses lueurs,
je rêve d’embrasser tous les peuples,
et que mes baisers soient des miracles de paix.
L’enchantement, doucement, n’emmène vers le sommeil.
Texte évoqué lors de la présentation du thème:
UN SONGE
Le laboureur m’a dit en songe : Fais ton pain,
Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème.
Le tisserand m’a dit : Fais tes habits toi-même.
Et le maçon m’a dit : Prends ta truelle en main.
Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont je traînais partout l’implacable anathème,
Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était réelle :
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés ;
Je connus mon bonheur et qu’au monde où nous sommes
Nul ne se peut vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.
Sully Prudhomme( 1839-1907)
Premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901
Victor HUGO
1802 – 1885
Jeanne songeait ( extraits)
Jeanne est la petite-fille de Victor Hugo
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose;
Je m’approchai : – Dis-moi si tu veux quelque chose,Jeanne ? /…./
Jeanne m’a répondu : -je voudrais voir des bêtes.
Alors je lui montrai dans l’herbe une fourmi.
Vois !
– Mais Jeanne ne fut contente qu’à demi.
– Non, les bêtes, c’est gros, me dit-elle.
/…. /
– Je n’ai pas d’éléphant sous la main, répondis-je.
Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit !
Parle. –
Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt.
– Ça, dit-elle. –
C’était l’heure où le soir commence.
Je vis à l’horizon surgir la lune immense.
Cet autre que je n’ai pas lu, étant contraint de quitter l’apéro avant son terme.
Mon rêve absolu
Une maison paisible loin des bruits parasites
Où chaque jour s’endort le fils de mon fils
Puis quand il se réveille s’en va courir au pré
Pour jouer, cousins, cousines, libres et nus dans l’herbe
Pendant ce temps, je pêche dans l’eau calme du lac
L’esprit toujours secret mais enfin libéré
Je montre aux enfants la lumière du jour
Et les ronds que, dans l’eau, dessinent les poissons
Ils me cueillent quelques fleurs de pissenlit et chantent
Je leur dis de l’histoire et au goûter gourmand
Ma lecture se fait lente au rythme de leurs rêves
Et nous imaginons, ensemble, où elle nous mène
Le frais couvre nos dos, nous rentrons faire le feu
Puis le bain dans l’eau chaude, tirée de l’âtre jaune
Le temps est à la science et à l’ébullition
Puis mes enfants arrivent, les parents des enfants
Se parlent en douceur aux effluves du diner
On a posé les craies au pied du tableau noir
Où sont encor visibles, alphabet, chiffres et cartes
Les assiettes d’absents posées comme tous les soirs
Promettent des histoires qu’ils nous diront bientôt
Dans un discours aussi paisible que nos nuits.
Chez toi, je rêve
Chez toi la porte reste ouverte
Puisque tu sais attendre
Et que tes mains expertes
Préfèrent donner que prendre.
Chez toi je n’ai pas peur
D’être l’indésirable nain
Puisque je suis au cœur
D’un merveilleux jardin.
Chez toi les arbres sont fleuris
Les branches s’entrelacent
Dans les bouquets d’épis
Et les herbes fugaces.
Chez toi les effluves des fleurs
Caressent mes narines
Et je passe mes mains sur leurs
Tiges sans crainte des épines.
Chez toi j’entends la musique
De ton cœur métronome
Qui joue sa chamade pudique
Son art de vivre, son génome.
Chez toi la chaleur est au centre
De toutes les pièces où tu es
Et quand je pose sur ton ventre
Mes yeux j’arrive à la caresser.
Chez toi tout est calme et serein
L’encens d’Arménie me repose
Et m’emmène encore plus loin
Qu’un voyage en over dose.
Chez toi tout est bon à manger
Alors je me sers goulument
Des mets suaves aux goûts sucrés
Et me ressers et en reprends.
Chez toi les éclats des tissus
Ne cachent pas l’envers du décor
Ils ne voilent que l’aperçu
D’un balcon, un créneau, un trésor.
Chez toi les coussins sont emplis
Du duvet des plumes d’eiders
Et je pose ma tête dans leurs plis
Pour me préserver de l’hiver.
Chez toi je frôle les rideaux
Pour garder sur mes doigts
Le parfum de ta peau
Quand je suis loin de toi.
Chez toi le lit défait est doux
Et je voudrais pour un instant
M’y endormir contre ta joue
À l’abri de ton corps fumant.
Chez toi les matins peut-être s’éternisent
Des vapeurs brûlantes de tisanes, de thé
Des tartines aux confitures exquises,
Des plaisirs innocents et de l’oisiveté.
Chez toi je connais le plaisir
Du simple et de la gaieté
Et je rêve toujours de revenir
Chez toi où je n’ai fait que passer.