Nous avions projeté un apéro-poétique le 27 novembre prochain à la salle des fêtes de Saint-Jacut, mais, confinement oblige, celui-ci n’aura pas lieu.
Nous avions l’intention de vous solliciter afin de recueillir vos propositions de thèmes des prochains mois. Cela, hélas, aussi n’est plus possible ! Alors vous pouvez nous en faire part via le site presquileenpoésie.org.
Le fonctionnement de cette rencontre dématérialisée n’a pas changé ; un thème par mois.
Nous avons souhaité pour novembre reprendre le thème inépuisable « Ombre et Lumière ». Nous attendons avec impatience vos contributions sur le site.
La thématique de décembre sera « La fenêtre ».
Un jour, c’est sûr, on se retrouvera pour ouvrir à nouveau les recueils de poésie dans tous les bistrots de notre village qui attendent notre retour.
D’ici là, portez vous bien.
A très bientôt.
CLAIR OBSCUR
Le soir ni la nuit n’allongent leur manteau
Qu’une bougie vivace ne s’allume aussitôt
Et dans le voile à peine marqué du rideau d’eau
Les yeux de l’enfant bercé s’abandonnent au doux dodo
La joue de sa mère se fait satin, chaude incarnation
Et chacun attend le matin en son imagination
Les couleurs des vêtures changent de teint
Dans la pénombre que la chaumière maintient
L’on prend le visage convenu de la veillée contée
L’attrayante face que donne la chaude lumière
Rien ne permet dès lors à l’émotion de se taire
Le mystère l’emporte des récits de la comté
L’or des anneaux brûle au doigt des mariés
Autant de souvenirs par le feu de l’âtre charriés
Et la musique sobre se joue de l’air et du temps
Venue de la nuit, de nos êtres, au plus profond,
De si loin que l’on ne sait plus comment
Elle nous inonde comme le ferait vin de carafon
Et cette chaude atmosphère invitée par les lueurs d’encens,
Par l’ombre chuchotée des non-dits et des demi-mots,
Nous fait savourer les notes clair-obscur d’un tableau
Sorti tout droit d’un Caravage ou d’un Rembrandt,
Ces petites flammèches qui éclairent et ombragent tout à tour :
Toute l’intimité des frères Le Nain, d’un Georges de La Tour,
Instant révélé par la faible clarté
Instant de grâce figé par l’obscurité.
Saint-Suliac, 24 novembre 2020
Jean-Bernard VIVET
De l’ombre à la lumière
Sortir de l’ombre
les souvenirs empoussiérés
depuis longtemps dissimulés
dans la caverne sombre
où se sont entassés les gravats
des chambres dévastées
et détrempées de larmes
auprès des lames vermoulues
arrachées aux marches disjointes
des escaliers chancelants
qui débouchaient sur des lambeaux de ciel
Dérouler sa mémoire
comme un tapis mité
étalé sur une pelouse rase
par un jour clair d’hiver
et retrouver alors
frissonnantes et nues,
la honte et la douleur des choses tues.
28 novembre 2020
De toi maintenant…….
De toi il ne restait que ton nom
Ton nom qui est aussi le mien
Gravé en lettres noires
Sur un bloc de pierre
En souvenir de ceux qui partis à la guerre
Sans trop savoir où ils allaient
N’en sont jamais revenus.
Je pensais alors…….
Qu’avec le temps tout s’efface se défait disparaît
Tout s’évanouit dans une nuit sans fin
Tu m’étais inconnu
Ombre sans visage
Sans âge
Ombre parmi les ombres
Gisant dans un coin de terre anonyme.
De toi il ne me restait rien
Pas même une vieille photo jaunie
Rien qui te relierait
Au monde des vivants
Quitté il y a si longtemps
Mais où tu avais ta place
Si petite fût-elle…..
Avec le temps tout s’efface se défait disparaît
S’évanouit dans une nuit sans fin
Tu es » Mort pour la France »
Et nul à ce jour n’a pu me dire où tu as été enterré
Ou si même tu le fus.
De nous il ne reste rien
Ou si peu….
Parfois juste un nom
Ecrit sur un bloc de pierre
Ou sur une dalle grise et nue
Qui avec le temps s’efface peu à peu.
L’oubli fait injure à ceux dont le fardeau fut le plus lourd.
Je le pensais, je le disais, je l’écrivais, le regrettais
Moi qui avais été aussi si oublieuse des miens.
Jamais
Jamais je n’aurais alors imaginé
Qu’avec le temps le passé puisse un jour ressurgir
Un passé couturé remaillé rapiécé
Un passé avec ses pages blanches, ses zones d’ombre qui sans doute le resteront
Mais aussi avec ce qui m’est redonné et qui désormais continuera à être.
De toi maintenant
Je sais un peu plus que ton nom
Mobilisé dès l’hiver 14
Tu es mort au printemps 17
» Tué à l’ennemi » comme ils disent.
Trois ans à ramper dans des tranchées boueuses
De la Somme à la Marne.
Tu es mort sans savoir
Que ta vie valait
150 francs….*
Tu t’appelais Mathurin Coudray**
Tu étais né le 19 avril 1895 dans un petit village en bord de Rance
T u étais le sixième d’une fratrie de onze enfants
Tu n’allais plus à l’école depuis longtemps
Mais tu savais lire et écrire.
De toi je sais maintenant
La couleur de tes yeux, celle de tes cheveux
Je sais tes blessures
La mort de ta mère, celle de ta petite soeur.
Quand tu es parti à la guerre tu n’avais pas encore vingt ans
Je ne sais si tu étais parti la fleur au fusil
Mais je sais depuis peu
Que tu ne voulais pas y retourner
On t’a dit que tu n’avais pas le choix alors
Tu es reparti…..
Tu es mort le vingt-six mai 1917 au mont Cornillet
C’était en Champagne
Tu avais vingt-deux ans.
Elisabeth Thomas-Loridan – le 27 / 11 / 2020
* Un secours de 150 francs avait été accordé le 18 septembre 1917 à son père
** frère de ma grand-mère maternelle
Voir le jour se lever.
Quitter ton lit au milieu de la nuit
en espérant voir le jour se lever
du côté de la mer.
Grelotter
les pieds nus dans l’herbe reverdie
de la fin de septembre
Marcher sur l’ourlet défait
de ta vieille robe de chambre
tachée de café et de cendre.
Regarder le ciel blanchir
au dessus de la haie du jardin.
Guetter tous les bruits de la rue
reconnaître toutes les voitures
qui ralentissent au carrefour.
Trembler en croisant tes bras
sur ta poitrine douce
qu’il ne caresse plus
depuis tout un été.
Entendre les mouettes rire
en passant au-dessus de ton linge oublié
sur le fil
et jauni par la lune
.
Demander,
en regardant
les vagues qui lèchent la digue:
« Où a-t-il bien pu passer la nuit? »
Comme si tu ne le savais pas…
(
Dans le recueil » La façade des jours » inédit)
Dans le recueil « La façade des jours »-inédit)
Tableau d’automne
Aucun mystère sous la brume
aucune fée dessous ma plume…
Tapis de pourriture à terre,
miasmes roux s’accrochant à l’air,
sur la branche cassée, l’oiseau,
muet, l’aile tombante en faux,
une bête crevée dans l’eau.
Tout est réel dans ce tableau
tout est vrai sous le chapiteau…
Mais bientôt le soleil d’automne
lève le rideau déchiré…
Et nos regards dorés s’étonnent
de la splendeur des jours d’automne
sur la forêt désenchantée.
Michèle PETTAZZONI
Merci de nous offrir vos poèmes. Que les plus timides n’hésitent pas à venir déposer leurs textes sur ce site. Nous avons tous besoin de savoir que la Covid n’a pas eu raison des poètes.
De la part de Dominique Mongodin, une citation de Boris VIAN:
Je passe le plus clair de mon temps à l’obscurcir parce que la lumière me gène.
Bonsoir,
quel heureux hasard !
Je viens de lire le nouveau Manifeste du Wajdi Mouawad … et c’est un manifeste POUR L’OMBRE !
en voici un extrait :
Qui que nous soyons, nous avons notre ombre. Il suffit que la lumière soit. L’ombre est un précipité, sans fonction aucune, sans utilité réelle, un épiphénomène. Pourtant, dès lors que l’on veut bien dépasser l’aplat de sa réalité, on réalise que l’ombre n’est pas seulement une conséquence de l’obstruction d’un corps au rayonnement de la lumière mais aussi une surface de réparation à nos douleurs
la suite est par là
https://www.colline.fr/manifeste-2020
Je vous encourage à le lire attentivement et précieusement !
Si par malchance, le lien était inopérant, il suffit de se promener sur le site du théâtre de la Colline !
GWENOLA
Le matin
Le matin
quand la lumière infuse
ma chambre et le chemin
Je m’arrondis
Je trouve le visage
que la vie a sculpté pour moi
Il me va
Nul besoin de prière
La lumière s’amoncelle
Je n’aurai vécu
ma vie entière
que pour le souffle du matin
Les journées sont si ordinaires
Annie Coll
Nauplio
Le temps se dilate
de trop de lumière
vaisseau enseveli
Nous vivons dans l’ailleurs
le non-advenu
dans un espace réduit au feu
La mer brûle nos lèvres apaisées
Le soir, la ville tamisée d’argile
s’offre nue au soleil couchant
Nous roulons alors
dans le plein et le délié des vagues
nos yeux tournés vers la forteresse
ivres de rêves nonchalants
suivant les marches de marbre rouge
les poings fermés
Vers nos causes perdues
Annie Coll
Le visiteur du soir
Un elfe est venu tout chagrin,
il avait perdu son chemin.
« Connais-tu, m’a-t-il imploré,
la route qui mène au passé ?
J’ai oublié, et c’est trop bête,
le plan qui conduit à la fête … »
« Sème des rimes à tue-tête,
regarde-les bien s’envoler …
La direction, dis-je en poète
sera celle de ton passé … »
C’est sûr, j’ai un peu déliré,
ne voulant pas décevoir
l’être gracile dans le noir.
Alors il a poétisé,
il a parlé, chanté, sifflé …
Devant mes grands yeux médusés,
les images ont défilé …
Et sur mon lit d’hôpital,
ce fut un vrai carnaval …
Des cris … des rires en fusées …
Je ne pouvais rien maîtriser …
J’étais l’enfant, j’étais l’été,
j’étais la nuit rousse étoilée,
j’étais sa poussière dorée …
Michèle PETTAZZONI
Faune déçu
.( un poème sur le thème « Ombre et lumière »)
La fête enlace la rivière
Sous les arches des peupliers.
Les lampions versent leur lumière
Dans la pénombre des sentiers.
L’eau frappe au clapot de mon rêve
Les berges troubles du désir.
Déjà ta robe se soulève
Et flotte au courant du plaisir.
La valse emporte dans la fête
Ton corps ployé contre le mien.
Bientôt la musique s’arrête.
« Viens près de l’eau, si tu veux bien.
Laisse mes bras contre tes hanches
Laisse ma bouche dans ton cou
Et fais glisser tes deux mains blanches
Sur mon torse de faune fou.
Laisse-moi dire que je t’aime. »
Mes rauques mots, pauvre discours,
Te font trembler et pleurer même…
« Pourquoi pars-tu, mon bel amour? »
La fête enlace la rivière
Sous les arches des peupliers.
Tu vas courir vers la lumière…
Je fuis dans l’ombre des sentiers.
Yvonne Le Meur-Rollet
C’est avec plaisir que nous allons pouvoir déposer de nouveaux poèmes sur le thème proposé. Merci aux responsables de Presqu’île en poésie d’avoir fait sortir le site de son long sommeil §